vendredi 21 novembre 2008

C'est l'histoire d'un âne

J'ai plus trop le temps de me consacrer à ce blog. De toute manière, je ne suis plus sur place et je dois, comme vous, me contenter d'écouter, regarder et lire les informations que l'on veut bien nous donner. Enfin presque. Car j'ai la chance - ou la malheur - de recevoir, par mail, des informations de première main. C'était le cas samedi dernier et cette fois-ci, je me sens contraint de partager ces nouvelles avec vous.
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Today, around 9:00am, around fifteen masked Israeli settlers from theillegal outpost of Havot Ma'on attacked three Palestinian shepherds whowere grazing their flocks in a valley south of the outpost. The settlerscame running down from a ridge above the shepherds, hurling rocks. During the incident, the settlers were able to apprehend two of the shepherds' donkeys. The settlers killed one donkey with a knife wound in the chest area. They slashed another across the throat, but the donkeysurvived. The shepherds were able to get their flocks away without being injured.The settlers hit two internationals from the Christian Peacemaker Teams with large rocks. One of the internationals sustained minor injuries. The internationals were accompanying the shepherds at the time of the attack. The Israeli police were called four times before responding to theincident. They did not initially respond to reports of Palestinian shepherds and internationals being attacked by settlers, but only responded when made aware of the injured donkeys. The shepherds were very concerned about the incident, as it occurred on land they graze daily. Additionally concerning was the loss of a donkey which costs around 1000 NIS, or $265. (The Israeli occupation has impoverished the shepherds of the area, and they are dependent on foodaid)The attack took place on land that the settlers hope to take in an effortto expand the settlement. There have been numerous attacks in the past against shepherds and schoolchildren in the area, including several incidents where Israeli settlers have shot at the shepherds.







Si vous voulez permettre à ces bergers de se procurer un nouvel âne, vous pouvez faire un don à Taayush, organisation israélienne de défense des droits de l'homme (versement pour Ezra Nawi, POB 4441, Jerusalem, Israel), ou me contacter au 076 418 18 89.

mardi 19 août 2008

Le retour de Jamal

Bientôt un mois que rien n'a été écrit sur ce blog. La raison: mon mandat à Hébron étant arrivé à son terme, je suis rentré à la maison. Je compte bien encore rédiger quelques articles mais, pour l'instant, je me laisse le temps de digérer cette expérience passionnante, intense et exigeante.
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En attendant de reprendre ma plume - qui a des fourmis dans le bec - j'ai le plaisir de partager avec vous une petite tranche d'humour palestinien.




samedi 26 juillet 2008

Des grands-mamans face aux soldats

Hanna Barag a 73 ans. Un soldat israélien l’a traitée de « pute » il n’y a pas si longtemps de cela. Et elle s’en souvient parfaitement. Comme plus de 500 femmes, dont une majorité de grands-mères, Hanna Barag est membre de Machsom Watch, organisation israélienne qui lutte contre les violations des droits de l´homme aux check points.
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« C’était au check point de Qalandiya (entre Ramallah et Jérusalem) », explique-t-elle. « Je suis d’abord restée bouche bée, puis je lui ai posé deux questions : penses-tu vraiment qu’une femme de mon âge a sa place dans ce métier ? Aurais-tu osé dire la même chose à ta grand-mère ? ». Hanna Barag a recroisé le soldat une semaine plus tard ; il s’est excusé.
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Moi non plus, je ne me suis pas senti bien grand jeudi dernier quand que je l’ai rencontrée pour un entretien. C’est chez elle, à Jérusalem, que cela s’est passé. J’ai sonné à 8h55. Elle m’a ouvert, m’a serré la main en me faisant un grand sourire et m’a proposé de prendre place dans son salon. « Vous buvez quoi ? Café, thé, eau ? Thé noir, thé vert, thé à la menthe ». Euh…allons-y pour le thé vert.

Elle s’est assise dans un fauteuil en face moi ; j’avais pris place sur le canapé. Dans le coin. Intimidé le bonhomme ? Pas qu’un peu. Intimidé par la détermination, le dévouement, l’intransigeance, le charisme du personnage. Mais aussi par son passé. Si Hanna Barag fait aujourd’hui partie des militants les plus acharnés contre l’occupation, elle fut – il y a plus de quarante ans – la secrétaire du Premier Ministre David Ben Gourion et du Chef d’Etat major Moshe Dayan. Une période de sa vie qu'elle n'a pas jugé pertinent d'aborder pendant l'entretien. En d'autres termes, je me suis fait remballer propre en ordre.

Pendant l’entretien, son téléphone a sonné quatre fois – des Palestiniens qui demandaient de l’aide. Elle a chaque fois repris la conversation exactement là où elle l’avait laissée. Pas eu besoin de la relancer. Nul besoin non plus de lui poser beaucoup de questions ; elle a parlé pendant deux heures sans discontinuer.

Quelques courts et décousus extraits de l'entretien

« L’aventure Machsom Watch a débuté en décembre 2001 pour moi. Avant cela, je n’étais pas, pour des raisons personnelles, engagée politiquement. Arrivée à la retraite, j’ai cherché un travail temporaire. Je suis tombée sur une femme qui m’a proposé de l’accompagner lors de son prochain déplacement au check point de Qalandiya. J’y suis allée et en suis revenue choquée par ce que j’avais vu. J’ai décidé de renouveler l’expérience le week-end suivant. Tombée malade – certainement une réaction de mon corps à ce que j’avais vu et allais voir – j’ai dû patienter deux semaines avant de retourner jouer le rôle d’observatrice. Au « Container » check point cette fois-ci. Un check-point situé à une dizaine de kilomètres à l’Est de Jérusalem, au sommet d’une route très pentue. Ce jour-là, il neigeait, pleuvait, soufflait ; des conditions terribles et un spectacle surréaliste. Une attente interminable pour des Palestiniens humiliés, insultés, parfois frappés par les soldats. Un vieillard qui, quittant certainement Jérusalem pour aller passer les fêtes de fin d’année avec sa famille, a été contraint de passer le check point à pied en portant une grosse valise. Dans la descente, il a chuté et glissé sur plusieurs dizaines de mètres pendant que sa valise dévalait la pente en roulant. Il est venu s’écraser contre des gens qui attendaient de pouvoir quitter les lieux en taxi. Ce fut pour moi un tournant. Jusque là, je ne comprenais pas vraiment ce que représentait l’occupation. J’étais bien plus naïve que je ne le suis maintenant ».

Aujourd’hui, elle assure chaque dimanche une présence à un check point ; à Huwara le plus souvent. De plus, elle essaie de se rendre à chacun des check points situé en Cisjordanie au moins une fois dans l'année. « Car, quand un Palestinien m’appelle et me parle avec le peu d’hébreu qu’il connaît, je dois être en mesure de deviner où il se trouve ». Quand je lui demande combien de coups de téléphone elle reçoit chaque jour, elle me dit qu’elle vient de faire des statistiques et, sans hésiter, m’annonce : « 872 coups de fil depuis le début de l’année. Dont 99,5% de Palestiniens ».


«Je suis fière d'être israélienne»

« A partir du moment où je vote, je suis responsable. D’autant plus responsable qu’en 1967, je faisais partie de ceux qui criaient de joie. J’ai été prise dans l’euphorie collective. (…) Je suis sioniste, je suis fière d’être israélienne, j’aime mon pays, ma langue, ma terre. Et j’estime, que notre Etat, l’Etat juif a le droit à l’existence. Mais dans les frontières de 1967. Pour moi, le vrai sionisme, c’est de lutter pour la paix, pour une solution pacifique. Et contre l’occupation. (...) J’estime qu'il est de mon devoir de dire aux Israéliens que leurs enfants font quelque chose d’immoral ».

« Entre les soldats le mot se passe»

Par les soldats israéliens, elle se dit considérée comme une « traître ». « Pour eux, on apprend aux Palestiniens à tricher ». Elle se sait mal perçue mais elle estime néanmoins avoir un « extraordinaire (tremendous) pouvoir » sur eux. « Ils me connaissent, ils sont informés des relations que j’entretiens avec leurs supérieurs. Le mot se passe. Ceux qui ont déjà été remis à l’ordre suite à l’une de mes interventions le font savoir à leurs camarades ». Mais d’où tire-t-elle cet « extraordinaire pouvoir » ? « Je suis parvenue, au fil des années, à développer un réseau de connaissances dans la hiérarchie militaire. Ceci me permet, aujourd’hui, d’appeler, en cas de problème, des officiers à n’importe quelle heure de la journée et de la nuit ». Elle illustrera tout cela par une anecdote.

« Un jour, en fin d’après-midi, un Palestinien, qui rentrait chez lui en voiture avec sa famille, se voit empêcher, par un soldat, de passer le check point qui barre l’entrée de la ville où il habite. Aucune raison ne lui est donnée. Avertie, une membre de Machsom Watch appelle la Hotline de l’armée. On la rappelle quelques minutes plus tard pour lui dire que, d’après les renseignements recueillis auprès du soldat en place au check point, il n’y a pas de Palestinien qui cherche à passer. Elle rappelle le Palestinien qui lui assure qu’il ne lui ment pas. Elle décide alors d’aller sur place…pour constater que la famille palestinienne est effectivement toujours bloquée. Alors que la nuit est tombée depuis plusieurs heures, elle recompose le numéro de la Hotline : même discours. Il est minuit passé quand je suis mise au courant. Sans hésiter, je téléphone au commandant de l’unité en charge de la région où se situe le check point. Je le réveille. Quelques minutes plus tard, le Palestinien et sa famille ont pu rentrer chez eux ».

Mais comment a-t-elle réussi à développer un tel réseau de connaissances ? « Cela a pris du temps. Je me suis toujours comportée correctement avec les soldats. Je ne joue jamais le jeu de la provocation, je ne rentre jamais dans un conflit avec eux. Je leur dis que je peux comprendre certains des impératifs auxquels ils font face et je ne leur fais pas connaître le fond de ma pensée. Je leur laisse une chance de ne pas grimper au rideau immédiatement (stay on earth and not climb on a tree) ». En parlant des soldats, elle dira : « Du moment que l’on ne peut pas les combattre, il faut s’allier à eux (if you can’t fight them, join them) ».

«Nous faisons toutes face à un conflit de conscience terrible»

« En coopérant avec l’armée, on ne met pas fin (finish) à l’occupation, on la rend juste un peu plus acceptable (better). On aide même à la rendre permanente. Mais je n’ai pas encore trouvé de meilleur moyen d’aider les gens qui en souffrent. Nous faisons de l’humanitaire ; il faudrait être une organisation à des fins politiques uniquement si l’on ne voulait pas se fourvoyer. (...) Comme vous pouvez le constater, nos objectifs politiques sont bien loin d’être atteints. J’en fais des nuits blanches. En fait, nous faisons toutes face à un conflit de conscience terrible. Il y a beaucoup de frustration d'où des disputes très fréquentes entre nous. Même si cela s’est amélioré au fil des années, nous ne faisons que de nous prendre de bec. Certaines ont d’ailleurs quitté le navire à cause de cela ».

«Tous les Arabes veulent nous tuer»

« Les Israéliens ont tous droit un lavage de cerveau. Il y a quelques jours, ma petite-fille de quatre ans était à côté de moi lorsque j’ai reçu un appel d’un Palestinien. « Qui sont ces gens qui te téléphonent. C’est des amis à toi ? », m’a-t-elle demandé. « Pas vraiment. C’est des connaissances ». « Mais pourquoi tu leur parles alors ? » « Parce ils ont parfois besoin d’aide ». « Ca doit être des Arabes. Fais attention grand-maman car tous les Arabes veulent nous tuer ». Je me suis directement rendue à son jardin d’enfants et j’ai demandé à la maîtresse si c’était elle qui lui avait appris ce genre de choses. Elle m’a dit que non. Je me suis rendu compte que c’était ce que les enfants retenaient des différentes fêtes religieuses. On ne leur parle que de persécution du peuple juif. Ils passent par un processus de victimisation ».

.Premier jour d'école pour ces deux enfants palestiniens. Leurs parents n'ayant pas les autorisations nécessaires pour les accompagner, ils sont contraints de passer le check point seuls (photo: Machsom Watch).

«J'ai quatre frères fascistes»

«Plusieurs de mes amis ont coupé les ponts avec moi depuis 2001. Mais j’en ai trouvé d’autres. Même si l’on est souvent en train de se disputer, une grande solidarité s’est développée entre les membres de l’organisation. Du côté de ma famille, la situation n’est pas facile. J’ai quatre frères fascistes que j’aime mais avec qui je ne peux pas parler de mon quotidien de militante. Lors des réunions de famille, je n’aborde pour ainsi dire jamais les problématiques qui m’occupent le reste de la semaine. Aucun de mes frères ne m’a appelée après ce qui m’est arrivé à Hébron (ndlr. la veille de l’entretien, Hanna Barag et le groupe qu’elle guidait ont été pris à partie par des colons et ont dû, sur ordre de police, rebrousser chemin. Un événement dont ont parlé les principales chaînes radiophoniques). Aucun de mes frères n’a pris de mes nouvelles. C’est moi qui ai appelé l’un d’entre eux qui ne s’est même pas réjoui du fait qu’il ne m’était rien arrivé. Il m’a dit que je lui faisais honte».

lundi 14 juillet 2008

Moyline et le miracle de l'ordi

J'ai eu le bonheur de recevoir la visite de ma bien-aimée au début de ce mois. Des retrouvailles délicieuses et très rythmées. De Jaffa à Hébron en passant par Bethlehem, Moyline a passé six jours à découvrir la région et à sauter d'un bus à l'autre. Mais aussi six jours à faire connaissance avec l'amabilité, la bienséance et le savoir-vivre des forces et autres agents de sécurité israéliens. Pour illustrer cette chaleureuse page de son voyage, elle a d'ailleurs été d'accord de nous raconter les problèmes auxquels elle a dû faire face lors de son départ de l'aéroport Ben Gourion.

Hébron, son climat pesant, sa tension. Moyline rumine tout cela sur Suhahda street, rue interdite aux Palestiniens

Avant cela, deux précisions. De un: mon ordinateur étant tombé en panne au début de mon séjour, j'ai demandé à Moyline de le ramener en Suisse. De deux: il est fortement déconseillé de dire aux agents de sécurité de l'aéroport que l'on est allé faire un tour en Cisjordanie (je ne parle même pas de Gaza). Pourquoi? Car ils n'aiment pas du tout cela, vont vous fouiller vos bagages complètement et vous interroger pendant plusieurs heures. C'est déstabilisant, parfois humiliant, toujours désagréable et vous risquer de louper votre avion et de figurer sur une liste noire (interdiction de fouler le territoire israélien). J'ai donc conseillé à Moyline de dire qu'elle n'était qu'une simple touriste et que son petit copain était en Suisse et non à Hébron où elle n'avait d'ailleurs jamais mis les pieds...Voici son histoire :

« Dans la file d'attente, une première femme me pose poliment des questions, tout en examinant mon passeport.
- Quelle est la raison de votre séjour en Israël ? - Tourisme.
- Avez-vous rendu visite à quelqu’un ? - Non.
- Vous voyagez donc seule ? - Oui.
- Quelles villes avez-vous visitées ? - Tel-Aviv, Jaffa, Jerusalem.
- Quelle est votre destination ? - Genève.
- Est-ce que vous avez fait vous-même vos bagages ? - Oui.

La femme colle ensuite des étiquettes sur mon passeport et mes bagages. Sur ces étiquettes figurent un numéro : le 5, qui indique le niveau de dangerosité du voyageur. Jean-Marie m’avait prévenue qu’il ne fallait pas être déstabilisée par le ton désagréable que peuvent avoir les agents de sécurité pour s’adresser aux voyageurs. Comme ce n’a pas été le cas avec cette dame, je passe au deuxième poste de contrôle, soulagée.

Je dépose alors ma valise, mon sac à main et l’ordinateur portable sur le tapis roulant de la machine à rayons X. Je récupère mes affaires et me dirige vers d’autres agents de sécurité postés derrière une table. Deux femmes me questionnent à nouveau. Mêmes questions que la première fois, sur un ton nettement moins amical. Une troisième femme reprend le portable pour le contrôler une seconde fois. Je lui dis que cela a déjà été fait et que, de toute façon, il ne fonctionnait pas. Et c’est là que les choses ont mal tourné. S’ensuit un long interrogatoire. Des questions fusent de part et d’autre des agents que j’ai en face de moi (4-5 personnes en tout). Les mêmes questions qu’au départ, puis d’autres, plus ou moins pertinentes, le but étant de me déstabiliser au cas où j’avais quelque chose à cacher.

- Depuis quand votre ordinateur ne fonctionne-t-il plus ? Est-ce qu’il vous appartient ? Connaissez-vous bien votre ami ? Comment s’appelle-t-il ?
(En tombant sur un livre intitulé « Israël, Palestine. Vérités sur un conflit ») - De quoi parle ce bouquin ? Pourquoi ça vous intéresse ? Vous parlez l’arabe ? L’hébreu ?
- Quelles villes avez-vous visitées ? Quels sites touristiques avez-vous vus ?
- Avez-vous rendu visite à quelqu’un ? Pourquoi êtes-vous venue en Israël maintenant, et pas une année avant ou après ?
- Où avez-vous logé ? Le nom de l’hôtel ? Quel bus preniez-vous pour aller à l’hôtel ? Comment l’avez-vous trouvé ? Vous avez un guide ? Sortez-le. Montrez-moi où se trouve l’adresse de l’hôtel en question.

Une autre personne fouille ma valise, sort tous les objets, en remet une partie à l’intérieur et m'ordonne « Remettez le reste de vos affaires dans la valise ». Elle me pose aussi des questions. Verdict: tant que l’ordinateur ne fonctionne pas, je ne pourrai pas le ramener en Suisse. Ils vont donc le garder 24 heures. Je devrai aller le déclarer au Service litige bagages de Genève pour le récupérer le lendemain. Exaspérée, je fusille l’agent des yeux. Elle me répond « C’est une démarche normale ici. C’est pour la sécurité. »

Une heure après être entrée dans l’aéroport, je peux enfin aller à l’enregistrement. Une des agents m’accompagne. Elle me dit qu’elle va me suivre jusqu’au contrôle des passeports, ainsi je pourrai éviter le dernier contrôle de sécurité. Je lui dis que je ne souhaite pas y aller tout de suite, qu’un ami m’attend dehors. Je n’ai pas le choix: je dois dire au revoir à cet ami maintenant. Je pose ma valise, me dirige vers la sortie quand je l’entends me dire « Attendez, je viens avec vous ». Suivie de près par cet agent, tendue et au bord des larmes, je rejoins Jean-Marie. Nos adieux se résumeront à une étreinte courte et amicale sous l’œil bienveillant de notre agent, postée à un mètre de nous et à l’écoute de nos paroles.

Quatre jours plus tard, la poste me livre l’ordinateur. Miracle, il fonctionne parfaitement. Un grand merci aux autorités israéliennes. »


Sortir du pays n’a pas été chose aisée pour Moyline

Sachez que ce qui est arrivé à Moyline n’a rien d’exceptionnel. D’après les différents témoignages que j’ai entendus, elle s’en est même bien sortie. Certains n’ont jamais revu leur ordinateur.

Reste à savoir à quelle sauce et pendant combien de temps je vais me faire cuisiner dans deux semaines. Une chose est sûre : ça sent méchamment le roussi.

lundi 7 juillet 2008

Croiser le fer avec des étudiants

Histoire de pouvoir mettre des shorts ( !), de rencontrer d'autres Israéliens que ceux que l'on côtoie au quotidien - les soldats et les colons - et de découvrir le point de vue de ceux qui vivent de l'autre côté du mur de séparation, nous avons passé une semaine en Israël. Entre la visite de Yad Vashem (musée historique de l'Holocauste), un après-midi passé dans un authentique kibboutz et des tas d'autres combines, nous nous sommes entretenus avec une trentaine d'étudiants de l'Université hébraïque de Jérusalem. Eh bien, cette rencontre à l'allure très formelle fut le haut fait de la semaine de Jamal de la Basse.

Tout avait été parfaitement prévu. Guidés par deux étudiants en droit, nous avons commencé par faire la visite de l'Alma Mater. Gentil, joli. Démarrage en douceur ponctué par un petit rafraîchissement. Nous nous sommes ensuite assis par groupe de six et avons appris à nous connaître un peu mieux. Seule contrainte : ne pas parler de « politique ». Sympa. Nous avons notamment découvert qu’en Israël, cela fricotte sérieux sous les drapeaux. De nombreux couples naissent au cours du service militaire. Pour la petite histoire, les hommes ont trois ans de service obligatoire, les femmes deux.


Après ces 45 minutes premières minutes d’échauffement, nous avons mis le bleu de travail, remonté nos manches et sommes partis à la mine…c’est-à-dire, échanger nos points de vue sur la situation de la région. Nettement moins sympa mais très intéressant. Et fort difficile à résumer.

L’un des éléments qui m’a le plus marqué est le climat de peur dans lequel semble vivre les Israéliens. Une peur parfois irrationnelle, une peur souvent instrumentalisée mais une peur toujours réelle. Lotim, étudiante en droit adorant l’équitation, nous a confié que, même si cela allait de mieux en mieux, prendre le bus restait une épreuve pour elle. Il n’y a encore pas si longtemps de cela, elle descendait du bus sitôt qu’elle entendait quelqu’un parler avec « un accent bizarre ». Elle ne compte plus les rendez-vous et les cours auxquels elle est arrivée en retard. Oded, étudiant en philo et ancien démineur à l’armée, nous a, lui, expliqué la règle des ambulances : « Si tu en entends une, c’est un simple accident de la route. Si tu en entends deux, c’est un accident de la route plus important. Si tu en entends trois, c’est un bon carambolage. Et si tu en entends quatre, il faut te faire du souci pour tes proches, car c’est un attentat ».

31 juillet 2002, attentat à l'Université hébraïque: neuf morts, près d’une centaine de blessés. La vie continue, mais pas vraiment comme avant. D'où l'arbre qui pousse en diagonale.


La peur des attentats donc. Mais aussi la peur de voir leur pays imploser. Pour Oded, les divisions internes pourraient mener l’Etat hébreu à sa perte. Le « désengagement » de Gaza a créé de très importantes tensions au sein de la population israélienne, des tensions que nos interlocuteurs n’aimeraient pas devoir affronter à nouveau. « Evacuer les colons de Cisjordanie, c’est provoquer une guerre civile », a affirmé l’étudiant en philo. Tout comme la sécurité, l’unité (parfaite) de la nation nous a semblé être un absolu qui justifie tous les agissements.

D’autant plus facile à justifier et à appuyer que leurs conséquences sont méconnues d’une grande partie des citoyens israéliens et des étudiants avec qui nous avons croisé le fer. Ces derniers ne connaissent que très mal la réalité de l’occupation. Ils sont persuadés que chaque check point est là pour les protéger d’un possible attentat. Ils sont certains que les soldats qui humilient les Palestiniens ne représentent qu’une infime minorité des effectifs de Tsahal. « Il y a des moutons noirs partout », nous a-t-on dit. Ils sont convaincus que chaque maison que l’armée détruit était habitée par un terroriste. Des certitudes bien loin de la réalité du terrain.

Dans ces conditions, il a été très difficile de se lancer dans la recherche de solutions, dans des pseudo négociations de paix. Sans surprise, le droit international n’était pas, pour la majorité de ces étudiants, une base sur laquelle il vaut la peine d’engager les débats. Ils le considèrent bien plus comme une grande farce, voire comme un instrument de lutte contre Israël.

Cette intense discussion officiellement terminée, nous sommes allés manger. Souper facultatif pour les étudiants ; ils sont pour ainsi dire tous venus. Pas si bornés que cela. Bilan partiel de la rencontre :

  • La porte n’est pas complètement fermée mais faut être sacrément costaud pour l’ouvrir.
  • Je ne serai jamais un diplomate.
  • J’ai eu envie de mettre mon poing sur le nez d’Oded.
  • Oded va passer quelques mois à Lyon ; je vais peut-être aller skier avec lui.

samedi 28 juin 2008

Expulsions en série

Chose promise, chose due : je vais vous présenter les faits majeurs de l’histoire des bergers de Susiya. Un survol qui devrait vous permettre de comprendre que l’agression à la batte de baseball s’inscrit dans une logique suivie depuis près d’une trentaine d’années. Attention : article touffu.
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Le campement de la famille avec laquelle on passe un à deux jours (nuits comprises) par semaine


Début du 18e siècle, des Palestiniens qui ne roulent pas sur l'or quittent leur village natal, s’achètent du terrain dans les collines au sud d’Hébron et s´y installent. Habitant dans des caves naturelles, vivant de la culture d’un sol pauvre et de l’entretien de leur bétail, ces familles développent au fil des générations un mode de vie unique (et dont l’étude fait le bonheur des anthropologues). Ainsi, pendant plus d’une centaine d’années, la vie des habitants de Susiya a tout d'un long fleuve tranquille (au vu l’aridité des terres, il serait plus judicieux de parler d’un ruisselet).

Tout bascule en 1983, lorsque des colons israéliens viennent s’installer dans le coin, plus précisément à deux kilomètres d’un site archéologique où a notamment été découvert une ancienne synagogue. En 1986, les nouveaux arrivants voient leur vœu exaucé : les familles palestiniennes dont ils sont devenus les voisins sont expulsées. Mais la plupart d’entre elles reviennent s’installer à 500 mètres de la colonie. Bien trop près pour les colons juifs ; une nuit de 1990, les Palestiniens sont contraints, par des soldats de Tsahal, de monter dans des camions et sont déchargés 15 kilomètres plus loin.

Les familles se retrouvent ventilées un peu partout mais certaines d’entre elles trouvent les moyens de revenir à Susiya et de se remettre au travail. Pendant ce temps, les colons grignotent et confisquent du terrain. Ils se montrent de plus en plus violents. La tension monte. En 1991, trois Palestiniens sont assassinés. En 1997, les familles sont expulsées pour la troisième fois. En 2001, c’est un colon qui est tué. Les habitants de Susiya qui rejettent toute responsabilité dans cette affaire et dont la culpabilité n’a jamais pu être prouvée, sont agressés, des oliviers sont abattus, une partie de leur bétail disparaît, leurs caves sont détruites et leurs puits bouchés.

La même année, la Haute Cour de justice israélienne juge l’expulsion des Palestiniens illégale et les autorise à revenir sur leurs terres. Mais les soldats ne l’entendent pas de cette oreille et les empêchent de se réinstaller. Certains y parviennent tout de même mais sont immédiatement chassés. Expulsion numéro 4.

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Aujourd’hui, seule une poignée de familles palestiniennes vivent encore dans la région. Elles ont l’interdiction de construire et vivent donc dans des tentes. Eté comme hiver. Par un tour de passe-passe juridique, les autorités israéliennes sont dernièrement arrivées à la conclusion que les habitants de Susiya vivaient illégalement sur leurs propres terres. Mais nouveau tour de passe-passe que seule la (non-) justice israélienne parvient à créer, les Palestiniens, soutenus par des organisations israéliennes, font actuellement des demandes pour obtenir des permis de construire. Des permis qu’ils n’obtiendront jamais mais qui leur permettent, comme ils l’affirment, « d’acheter du temps ». Ou de s'offrir un sursis.
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N'ayant pas accès au réseau électrique auquel est relié la colonie voisine, la famille Nawajah peut compter depuis peu sur des panneaux solaires et une éolienne installés par une organisation israélienne.

Comme annoncé, article touffu. Beaucoup de faits présentés, et pourtant, je m’en suis tenu qu'aux plus importants. La confiscation des ressources hydrauliques, le blocage des accès routiers, le harcèlement des soldats,…ce sera pour une autre fois.

Une sacrée bouffée d'air

Heureusement pour le moral, il n’y a pas que les colons qui occupent nos journées et notre esprit ; à tous les coups, on en deviendrait fous. Comme bouffée d’air fréquente et bienvenue, il y a toutes ces rencontres avec les Palestiniens, ces thés sirotés et ces repas partagés (enfin, c’est plus souvent eux que nous qui partagent). Vendredi dernier, Linda et moi avons passé la soirée en compagnie de Bassam et de sa famille qui nous avaient invités pour le souper. Ils habitent à Beit Einun, à une poignée de kilomètres d’Hébron, ont une vue magnifique sur les vignes des collines environnantes et possèdent un jardin dans lequel mon dessert était à portée de main...des pêches, des abricots, du raisin, des dattes, des amandes, des mirabelles,... Une caverne d’Ali Baba pour un goinfre de mon espèce.
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Après m’être léché, puis pourléché les babines, avoir regardé le soleil tirer sa révérence, il fut l’heure de déguster un thé de sauge et un narguilé sur la terrasse. Une ambiance propice à la discussion et aux échanges. Et pour ne rien vous cacher, échanges, il y a eu. Bassam, le père de famille, s’étant assoupi sur le canapé, seules étaient encore présentes la maman et deux de ses filles, âgées de 19 et 24 ans.

Photo prise à une autre occasion: ma collègue Linda en compagnie de la maman et trois de ses filles (mais sans la plus âgée)

A ma plus grande surprise, la discussion s’est rapidement déplacée sur le terrain des relations entre hommes et femmes. Nos interlocutrices étaient curieuses de savoir comment tout cela fonctionne dans nos pays respectifs et je dois avouer que la réciproque était en tout cas aussi vraie. La plus jeune des filles nous a dit qu’elle détestait porter le voile car elle se trouvait nettement plus séduisante sans ce dernier. Je confirme. La plus âgée nous a confié que son fiancé n’a vu ses cheveux pour la première fois qu’après les fiançailles (et donc le consentement des parents). Il ne les a trouvés que plus beaux, nous a-t-elle avoué. Je comprends. Devant une maman qui prétendait condamner mais approuvait pleinement, les deux demoiselles nous ont détaillé l’éventail de techniques à disposition d’une fille qui essuie un refus de ses parents lors de la présentation de son amoureux. Roméo et Juliette ? Des gamins.

Au fil de la discussion, nous avons compris que, si la famille de Bassam était progressiste, elle nageait sérieusement à contre-courant. Ici, à Hébron, la majorité de la population est conservatrice, la pression de la société importante et la marge de manœuvre des femmes réduite. Certaines ne peuvent pas exprimer leur opinion au moment du choix de leur futur époux. Et celles qui en ont l’occasion doivent souvent faire des concessions et faire une croix sur la rencontre du prince charmant. La plus âgée des filles nous a dit qu’elle avait, elle aussi, dû faire une concession. « Laquelle ? », lui ai-je demandé. « Mon fiancé est pauvre ». Silence. « Mais c’est le dernier de mes soucis ». Sourire.

Une sacrée bouffée d’air cette soirée qui s’est terminée à 23h30 ; autant dire au milieu de la nuit pour les gens du coin.

lundi 23 juin 2008

A visionner

Je viens d'apprendre que la TV israélienne a fait un reportage sur les tours de Breaking the Silence. Reportage de deux minutes, sous-titré en anglais, disponible sur youtube.

lundi 16 juin 2008

Yehuda réduit au silence

Yehuda croyait avoir gagné son bras de fer avec les colons et la police d'Hébron. Eh bien, il ne fallait pas crier victoire trop vite. Vendredi passé, le bus de Breaking the Silence a été bloqué à l'entrée de la ville par une soixantaine de colons. Nous étions sur place; voici quelques photos.
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Dictant à la police la manière d'opérer: Baruch Marzel et Anet Cohen, deux des colons les plus radicaux et violents d'Hébron. Anet Cohen est la femme qui s'était couchée sous le bus lors d'une précédente visite.


Certaines femmes colons n'ont pas hésité à utiliser leurs enfants pour bloquer le passage du bus


Voilà ce que B'Tselem appelle "Shooting Back and Forth". Désormais, les colons filment et photographient en permanence. Souriez, s'il vous plaît.


Entre les interminables palabres avec la police, les échanges de mots doux avec les colons et l'attente que la situation se décante, l'animation a duré plus de deux heures, au bout desquelles le bus a fait demi-tour. Nouvelle victoire des colons donc. Et des tas de charmants souvenirs amassés pour bibi. Un jeune israélien, venu tout exprès de Jérusalem pour bloquer ces "antisémites" qui "soutiennent le terrorisme", m'a dit que je mériterais d'être pendu. Seulement voilà, à son plus grand regret, ce genre de pratiques ne sont pas autorisées en Israël. Raison pour laquelle, il n'a fait que me vanter les mérites de la Chine qui, elle, n'y va pas par quatre chemins lorsqu'il s'agit de traiter avec les opposants. "Mais, si c'est un pays si extraordinaire, pourquoi ne prends-tu pas le prochain vol pour Pékin", me suis-je hasardé à lui demander. Pas de réponse.

A l'écoute de la population locale

A Hébron, on dégaine la caméra


Prime time à la télévision, première page de la presse écrite, vague d’émotion dans la société israélienne, condamnation de l’auteure de l’agression : en donnant, en janvier 2007, une caméra à la famille Abu Aysha à Hébron, B’Tselem ne pensait pas que le projet « Shooting back » qu’elle venait de lancer allait susciter tant de réactions. Il faut avouer que les images recueillies par cette famille, qui vit en face d’une colonie israélienne, laissent le spectateur pantois de dégoût. Collée contre le grillage protégeant la maison des Abu Aysha des jets d’ordures et de pierres, une colon juive répète inlassablement le mot « sharmuta » - putain – à sa voisine.

Sensibiliser le public israélien à la réalité de l’occupation était l’un des objectifs initiaux de « Shooting Back ». « Beaucoup d’Israéliens détournent le regard quand on évoque ce genre de questions. Sur ce coup-là, ce n’était pas possible », explique Diala Shamas, coordinatrice de projet. « Ils ont été surpris d’apprendre que leurs soldats laissent ce genre de chose se dérouler. Mais on a fait de cette colon juive un cas particulier qu’il fallait absolument sanctionner. Or, à Hébron, c’est loin d’être un cas isolé », poursuit la jeune femme, alors qu’elle étiquette les dernières cassettes.

Un espace d’expression

Raison pour laquelle les premières caméras ont toutes été distribuées dans cette ville, qui est la seule cité de Cisjordanie à compter des colons en son centre. « On s’est vite rendu compte que le conflit est très visuel », affirme la militante israélienne. Aujourd´hui, 25 familles hébronites ont été intégrées au projet. « Avec la caméra, on se sent un peu plus en sécurité », explique Hisham Abu Sa´ifan, qui vit en contrebas d’une des colonies. « Il arrive que les colons reculent quand on la met en marche. Mais pas toujours. Loin de là », soupire-t-il.

Alors qu’il est sur le point de poursuivre, trois soldats israéliens, suivi par un jeune colon, font irruption sur sa terrasse. Une fraction de seconde plus tard, Hisham Abu Sa’ifan et son ami ont sorti leur caméra pour filmer la scène. Même le journaliste présent n’est pas aussi rapide. Plus qu’une réaction, c’est un véritable réflexe. A Hébron, on ne sort pas sa caméra, on la dégaine.

Grâce à ces vidéos, déposer plainte est une démarche plus aisée et moins risquée. Mais, pour Hashem al-Azzeh, militant pacifiste de longue date, « les condamnations sont toujours aussi rares et notre quotidien ne s’est pas amélioré ». Pour Diala Shamas, si cette analyse n’est pas fausse, elle occulte néanmoins les effets indirects du projet : « Avant le lancement de notre projet, les habitants d’Hébron n’avaient pas d’espace d’expression. Désormais, ils sentent qu’ils ont un rôle à jouer ». Donner aux Palestiniens les moyens de partager la dureté de leur quotidien, c’est peut-être bien là la plus grande réussite de B’Tselem.

Voilà ce qui a été publié dans La Liberté du 17 juin. Il me reste néanmoins quelques infos dans ma sacoche au sujet de "Shooting Back". Notamment en ce qui concerne les effets secondaires du projet de B'Tselem

A Hébron, les Palestiens sont relativement divisés. On nous a parlé plusieurs fois d'une société divisée en clans familiaux. A tel point que, la semaine dernière, un conflit entre deux familles s'est terminé par des coups de feu et dans le sang. Pourquoi est-ce que je vous raconte cela? Parce que l'un des nombreux côtés positifs de "Shooting Back" est d'avoir réussi à créer un sentiment de solidarité entre les différents participants au projet. Ces derniers ont dû suivre ensemble des séances d'informations, des cours d'utilisation de la caméra et autres ateliers. L'occasion de voir des liens se développer. Des pères de familles qui ne s'adressaient pas la parole auparavant se téléphonent aujourd´hui pour échanger des infos. Et l'on ne parle même pas des jeunes qui se voient régulièrement pour partager des combines.
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Et les colons? Comment réagissent-ils à tout cela? Eh bien, comme l'avez remarqué, la dissimulation du visage est une de leurs tactiques de riposte. Mais pas la seule. Sachant qu'ils ont un poil plus de chances d'être condamnés, ils envoient au front ceux qui ne sont pas condamnables, c'est-à-dire les enfants de moins de 12 ans. De plus en plus fréquemment, ce sont des têtes blondes qui s'attaquent aux Palestiniens. Avec l'assurance de s'en sortir blancs comme neige. Magnifique exemple d'instrumentalisation de la jeunesse. A des fins violentes, qui plus est. B'Tselem travaille sur la problématique en ce moment.

Même s'il y aurait encore un tas d'histoires à raconter sur le sujet, je vais m'arrêter là et vous laisser aller à la découverte des autres vidéos de B'Tselem.

samedi 14 juin 2008

A la batte de baseball

Samedi dernier, accompagnés de militants israéliens pour la paix, nous avons rendu visite à une famille de bergers palestiniens. Cette famille vit sous tente, dans le sud de la Cisjordanie, à quelques encablures d'une colonie israélienne (Susiya). Avec eux, nous avons bu un thé, mangé de la pastèque, discuté et rigolé. Nous avons repris la route en nous disant que nous avions rencontré des gens fort chaleureux et d'une gentillesse infinie.

Le lendemain après-midi, le père et la mère de la famille, leur neveu et sa femme ont emmené paître leur troupeau de chèvres. Ils étaient à peine arrivés que deux colons - une vingtaine d'années chacun - sont venus sur leur vélo pour leur dire qu'ils avaient intérêt à déguerpir. Les deux colons sont revenus dix minutes plus tard, avec deux de leurs camarades et des battes de baseball. La belle-fille du couple palestinien a filmé une partie la scène qui s'en est suivie (elle a été contrainte de lâcher la caméra pour aller appeler du secours). Voici la vidéo.
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Inconsciente, la maman, 57 ans, a dû être transportée d'urgence dans un hôpital israélien; elle est en ressortie trois jours plus tard avec un bras ainsi qu'une pommette cassés et un visage meurtri. Son mari, 70 ans, et son neveu en ont été quittes avec des contusions à la tête et ont été traités dans un hôpital palestinien. La nièce a pu être soignée sur place. Pour l'instant, la police n'a arrêté ni interrogé personne. C'est son porte-parole qui l'a affirmé.


Nous avons revu la famille cette semaine; tous souffrent encore beaucoup. Ils sont sous le choc, effrayés. Mais, ils sont plus déterminés que jamais à ne pas quitter une terre qui les a vus naître, vivre et souffrir. Un phénomène compréhensible mais totalement déroutant pour un petit Suisse de 28 ans qui n'a, à peu près, dû se battre que pour pouvoir s'asseoir dans le train TPF aux heures de pointe.

Aux chapitres des bonnes nouvelles - oui, ça existe aussi par ici - la presse israélienne a parlé de cette agression. Deux articles dans Haaretz, l'un des plus grands quotidiens, lui ont été consacré (pour ceux qui ont le temps et l'envie, la lecture des commentaires suivant l'article vaut la peine). Et si cette famille était en possession d'une caméra et que la vidéo a pu avoir un tel écho, c'est avant tout grâce à un projet lancé il y a une année par une organisation israélienne appelée B'tselem. De ce projet importantissime, il va en être question dans mon prochain article.

jeudi 12 juin 2008

Israël, les colons et la loi

Israël est responsable d’assurer la sécurité de la population vivant en Cisjordanie. Aussi bien le droit international que la Cour Suprême israélienne l’affirment. Toutefois, en lisant un solide rapport publié en 2006 par Yesh Din, une organisation pacifiste israélienne, force est de constater que l’Etat hébreux ne prend guère ses responsabilités.

D’une part, les soldats ne s’interposent que rarement lors d’agressions perpétrées par des colons. Quant à la police, qui ne se déplace pas systématiquement, elle met généralement beaucoup de temps à arriver sur les lieux du crime. A noter qu’un tiers des policiers vit dans des colonies.

D’autre part, ceux qui choisissent de déposer plainte font face à de nombreux obstacles administratifs. Bien des postes de police se trouvent à l’intérieur même des colonies, un endroit difficilement accessible pour les Palestiniens. La déposition est généralement rédigée en hébreux ; la victime n’a donc pas les moyens de contrôler si ses déclarations ont été correctement enregistrées. Il faut également faire fi de la crainte des représailles qui accompagnent certains dépôts de plaintes. Représailles orchestrées par les forces de l’ordre ou par les colons et qui, dans ce deuxième cas, peuvent prendre la forme d’un passage à tabac. Ainsi, beaucoup de Palestiniens rechignent à déposer plainte.

Et lorsqu’ils le font, ils ne peuvent guère compter sur une investigation menée en bonne et due forme. Elle est le plus souvent bâclée. Les alibis des agresseurs ne sont pas vérifiés, les témoins ne sont pas entendus. Un policier venu photographier une structure construite par les colons sur une propriété palestinienne n'a pas pu le faire; la carte mémoire de son appareil photo était pleine! Il arrive également que des dossiers soient carrément perdus.
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Femme palestinienne attaquée par deux colons (photo AFP)

Les enquêteurs de Yesh Din ont pu constater que 90% des dossiers qui sont ouverts suite à une agression commise par un colon sont refermés sans que l’auteur du crime n’ait à répondre de ses actes devant la justice. Pour les 10% restants, la condamnation est rarement lourde. En 2001, un colon, qui avait battu à mort un Palestinien de 11 ans avec la crosse de son fusil, a été condamné à six mois de travaux communautaires et 70'ooo shekels d'amende (21'8oo FS). Les juges ont estimé qu 'ils s'agissait d'un homicide par négligence..

Yesh Din en conclut que, sans encourager ces attaques, Israël les favorise.

mardi 10 juin 2008

Youssef et ses voisins

Je m’étais promis de ne plus vous parler des colons. Ils ne sont que 500 ici ; il ne devrait donc y avoir aucune raison qu’ils squattent continuellement mon blog. Mais voilà, il n’y a pas un jour sans que l’un de ces extrémistes ne soit l’auteur d’une agression verbale ou physique. Toutes plus violentes les unes que les autres. Les limites de mon entendement s’en retrouvent constamment repoussées. Raison pour laquelle je ressens une nouvelle fois le besoin de prendre ma plume (puis mon clavier).

Cette fois-ci, c’est pour vous conter l’histoire de Youssef. Youssef, c’est le neveu de Hashem, un Palestinien qui nous invite régulièrement à boire le thé. Youssef, il a treize ans et profite actuellement des vacances qui viennent de commencer. Tout comme son tonton, il habite en contrebas d’une colonie israélienne. A une dizaine de mètres. Parmi ses voisins, il y a Baruch Marzel, ex-membre du Kach, organisation déclarée terroriste par l’Etat israélien. Il y a aussi Yifat Alcoby, que l’on peut voir à l’œuvre sur une vidéo disponible en ligne.

.Une série de containers derrière la maison de Hashem (au pr. plan) : c'est la partie visible de la colonie de Tel Rumeida où vivent une trentaine de familles juives.

Le 23 mars 2005, en fin d’après-midi, trois soldats demandent à Youssef, sa cousine et l’un de ses copains de déblayer des déchets que des colons ont abandonnés sur un chemin. Après quarante minutes de dur labeur arrive, en voiture, une femme colon. C’est l’une des voisines de Youssef. Elle se parque, sort de sa voiture en compagnie de trois de ses enfants. Tout en proférant des insultes à l’encontre de Mahomet, elle se met à lancer des pierres sur les trois enfants palestiniens. Deux d’entre eux parviennent à s’enfuir ; Youssef, lui, se griffe contre un barbelé puis cherche à courir autour de la voiture pour échapper à la femme colon. Mais cette dernière est plus rapide ; elle attrape le môme par le t-shirt et le pousse violemment contre un mur. Le seul soldat présent veut intervenir mais il est repoussé par la femme et se prend les pieds dans le barbelé. Tout en tenant fermement Youssef, elle prend alors une pierre dans la main, l’introduit dans la bouche du garçon puis presse avec force contre son menton afin de lui fermer la mâchoire et lui maintenir la bouche fermée. « Je n’arrivais pas à résister. J’ai senti mes dents se casser», confiera après coup Youssef. Le soldat, lui, reste à l’écart, occupé qu’il est à parler dans son talkie-walkie. Une fois son agression perpétrée, la femme colon remonte dans sa voiture et rentre chez elle.

Traumatisé, Youssef a fait des cauchemars pendant plusieurs mois. Aujourd’hui, il va mieux. Même beaucoup mieux. Il danse comme un dieu, marque des tas de paniers au basket et fait chavirer le cœur des demoiselles de son école.

Tout comme moi, vous devez certainement vous demander ce qu'il advenu de l’auteure de l’agression, comment la justice et les forces de l’ordre israéliennes traitent de ce genre de cas. Je vais donc tenter, dans mon prochain article, de faire un peu de lumière sur cette zone sombre de la politique de l’Etat hébreux en Cisjordanie.

Exemple de projectiles lancés sur la maison de Hashem.


vendredi 6 juin 2008

"Votre mère est juive ?"

Changement temporaire de ton – moins grave – et de cadrage de l’objectif – sur ma petite personne. Une petite personne, ma foi, fort universelle dans son apparence. Après avoir été pris successivement pour un Italien, un Espagnol, un Portugais, un Tunisien, un Egyptien, un Syrien, un Gitan et un Argentin, je peux, après quelques semaines passées au Proche-Orient, et sans surprise, agrapher deux nouvelles étiquettes sur mon tableau de fils du facteur (ou du plombier).
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Pour être honnête, la première d’entre elles, Israélien ou Juif, n’est pas inédite. J’y avais déjà eu droit en Amérique du Sud. Mais ici, elle m’est collée bien plus fréquemment et, parfois, avec nettement plus d’insistance. Exemple : il y a trois semaines, devant le Mur des Lamentations, un Juif ultra-orthodoxe, s’approche de moi et me demande si je suis juif.
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- Euh...non.
- Mais votre mère est juive ?
- Non.
- Et votre père ?
- Pas plus.
- Ah bon, j’aurais juré que vous étiez juif.

Quant aux nombre de fois où l’on m’a demandé si j’étais palestinien ou arabe, je ne les compte plus. A plusieurs reprises, des gens m’ont pris pour l’interprète du groupe. Mais pas longtemps. Et pour la parenthèse, on m’appelle Jamal ici ; Jean-Marie est bien trop compliqué à prononcer.

Jusqu'à à présent, j’ai eu une chance incroyable ; c’est toujours des Israéliens qui m’ont pris pour un des leurs et des Palestiniens qui ont pensé que j’étais Palestinien. Jamais le contraire. C’est à la fois pratique quand je veux passer rapidement un check-point et rassurant quand, à Hébron, je rentre à pied à la maison en fin de journée.

Je me suis demandé comment pouvait s’expliquer ce phénomène. Je me suis dit, dans un premier temps, que le fait de me raser chaque fois avant d’aller à Jérusalem, où je rencontre bien plus d’Israéliens, pouvait jouer un rôle. Mais j’ai fini par abandonner cette explication bien légère. Sans en trouver une autre. Ou peut-être que si. Sous la forme d’une question : quelle est la probabilité qu’un Israélien engage la conversation avec un Palestinien (et vice-versa) ?

Après une première expérience rasage difficile dans H1, je suis allé tenter le coup dans H2. Chez Hani. Il ne parle pas l'anglais, a beaucoup de clients (il m'a fallu patienter plus d'une heure), est très fervent (quand ce fut mon tour, il est parti prié à la mosquée d'à côté) et fume comme un pompier. Eh bien, j'y suis déjà retourné deux fois chez Hani. Pourquoi? Parce qu'il prend le plus grand soin de mon visage (zéro coupure) et, surtout, car on arrête pas de rigoler.

mardi 3 juin 2008

Un colon tue des chèvres

Voilà l'histoire qui vient de m'être contée. Je vous la retranscris telle quelle.

Premier juin, 17 heures, dans les collines du sud d’Hébron. Un berger palestinien traverse la route 317 (une route interdite aux véhicules palestiniens) avec son troupeau de chèvres pour rentrer chez lui. Un colon, passant par là en voiture, change brusquement de direction lorsqu’il aperçoit les bêtes et fonce droit dans le troupeau. La plupart des chèvres parviennent à s’écarter mais trois d’entre elles sont heurtées de plein fouet par le véhicule. Le colon braque alors complètement, accélère et renverse deux autres bêtes. Bilan : trois chèvres tuées et les jambes cassées pour les deux autres.

Alors qu’il est en train de s’enfuir, le colon remarque que sa plaque d’immatriculation est restée coincée entre les cornes de l’une des chèvres. Il fait marche arrière pour aller la rechercher et tombe alors sur un groupe de soldats israéliens qui a suivi la scène. Il est demandé au colon de décliner son identité. L’information est transmise à la police qui arrivera plus tard sur le lieu du carnage. Le colon, lui, sera déjà reparti.
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Ceci est loin d’être une attaque isolée. Le 27 mars 2008, un colon a tiré sur un troupeau de moutons, en a tué deux et a manqué de peu le berger. Toujours dans cette même région, le 23 février 2008, un groupe de colons a attaqué plusieurs troupeaux de moutons. L’une des bêtes a eu les dents cassées suite au coup de pied qu’elle avait reçu. Même traitement pour une brebis qui s’est mise à saigner pendant la traite.
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Moins récent mais encore plus cruel. En mai 2005, au sud d'Hébron, du poison a été répandu sur les terres où les Palestiniens mènent paître leurs moutons ; 17 moutons sont morts et 78 ont été gravement malades. A ce bilan bien macabre, il convient d'ajouter la contamination des terres. Le poison en question, du 2-Fluoroacetamine, est d’une très haute toxicité. En ingurgiter une petite quantité est synonyme de mort pour l’homme. Il est interdit dans plusieurs pays. En Israël, une autorisation fournie par le gouvernement est nécessaire pour s’en procurer. A noter qu'aucune condamnation n'a été prononcée.

Quand la barbarie devient routine

« On était en train de patrouiller au centre-ville. En traversant un parc, on remarque qu’un grand objet métallique vient d’y être déposé. Que faire ? On ne savait pas. Tout le monde était tendu…On a fait un bout de chemin et on est tombé sur un Palestinien. On l’a embarqué avec nous. On l’a obligé à approcher l’objet et à le soulever. Le type ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait, il tremblait, il ne savait pas s’il fallait obéir aux ordres. On était là, quatre soldats, plantés à regarder la scène. Lui, il était mort de trouille ».

Debout à l’avant du bus, chahuté par la conduite un peu brusque du chauffeur, Yehuda Shaul a autant de peine à trouver l’équilibre que ses mots. Il s’interrompt un instant pour reprendre sa respiration, puis s’essuie le front et poursuit. « Sur le coup, on considérait cette manière d’opérer comme parfaitement sensée. Militairement parlant, c’est cohérent ; cela dissuade les Palestiniens de poser des paquets piégés. Mais humainement parlant ? » Indéfendable. Et c’est bien là où Yehuda veut en venir. Celui qui a servi à Hébron pendant 14 mois au cours de la deuxième intifada veut mettre le doigt sur le processus de corruption morale, d’aliénation, dans lequel sont entraînés les soldats servant dans les Territoires occupés. Et plus encore à Hébron, où « avoir la haine des Palestiniens est la seule façon de survivre physiquement et moralement ».

« C'est arrivé qu'on les étrangle aussi»

Pour mettre en évidence ce phénomène et lancer le débat au sein de la société israélienne, Breaking the Silence, dont Yehuda est le co-fondateur, a récolté des centaines de témoignages. En avril dernier était publié un quatrième recueil, un recueil uniquement consacré à Hébron. Extraits.

« On faisait tout un tas d’expériences avec eux (les Palestiniens). On les alignait, par exemple, contre un mur, comme si on allait les fouiller. On leur demandait ensuite d’écarter les jambes. De les écarter plus, et plus, et plus…c’était un jeu pour voir lequel était le plus souple. C'est arrivé qu'on les étrangle aussi. Un gars effectuait un contrôle puis prétendait que le Palestinien lui manquait de respect pour se foutre en rogne et l’empoigner par le cou…bloquer les voies respiratoires…on ne le relâchait qu’une fois qu’il s’était évanoui. Tout ça, le chrono en main. Celui qui mettait le plus de temps à s’évanouir remportait la mise ».

Les militaires à avoir osé faire le pas de la confession ne sont pas légion. La démarche est loin d’être facile, en témoigne le nombre de ces ex-soldats à avoir demandé que leur identité ne soit pas divulguée. Par crainte de perdre des amis, de s’éloigner de sa famille et de se retrouver en marge d’une société qui marche au pas de charge. Amenée à prendre position sur ces témoignages, l’armée israélienne a qualifié leurs auteurs de « brebis galeuses ».

Un passé qui ne passe pas


Arrêter une voiture sans raison, ramasser les clés, ne jamais les rendre et passer à tabac le conducteur parce qu’il demande à comprendre. Voler, lors de chaque patrouille, du matériel à un garagiste, le revendre pour se faire du fric et rouer de coups ce même garagiste lorsqu’il s’en offusque. Entrer dans une maison palestinienne à trois heures du matin en détruisant le mur du salon à l’explosif, enfermer les parents et les enfants dans une pièce, contrôler leur identité. Puis se faire à manger sur leur cuisinière et détruire la télé en repartant. Tirer sur les réservoirs d’eau installés sur les toits des maisons palestiniennes puis regarder le résultat à la lunette thermique. Se marrer.





A la lecture du recueil, la liste des jeux destructeurs et autres humiliations commises par les conscrits de Tsahal à Hébron paraît sans fin. Une lecture d’autant plus pénible que l’on sent les auteurs de ces brutalités en proie à un profond doute. Certains semblent même torturés. « Moi ? Pourquoi ? » Sortir de son mutisme et témoigner sert donc avant tout à soulager, à comprendre et à digérer un passé qui ne passe pas. Mais aussi à faire évoluer les consciences, à participer à la thérapie d’un Etat hébreu qui n’ose pas se regarder dans la glace. De peur peut-être d’y voir ses démons et de connaître le véritable coût moral d'une occupation longue de quarante ans mais dont on préfère ne pas entendre parler.

dimanche 1 juin 2008

Un petit tour et puis...allez-vous en

Histoire d’être fin prêts pour guider nos futurs visiteurs à travers Hébron et pour assouvir notre soif de connaissance, nous avons décidé de nous inscrire à un tour guidé de la ville. Mais pas n’importe quel tour ; celui mis sur pied par Breaking the Silence, une ONG israélienne formée d’anciens soldats ayant choisi de vider leur sac (leurs confessions figureront dans le prochain article). En 2007, 147 de ces visites ont été organisées.
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Partie de cache-cache

Jeudi, 8h30 : départ de Jérusalem. Américains, Allemands, Israéliens, Suédois, Suisse,… journalistes, étudiants, touristes, militants, …nous sommes une trentaine de curieux à grimper dans le bus et à tendre l’oreille. Au micro : Yehuda Shaul, 25 ans qui en paraît 35, large d’épaule et de taille, une kippa sur la tête, une bouille de bon vivant et un goût prononcé pour le spectacle. L’homme est à la tête de Breaking the Silence et a servi, en tant que soldat et commandant d'unité, à Hébron il y a cinq ans de cela.
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Yehuda (à dr.) en grande discussion avec un policier

Les 45 minutes de trajet sont l’occasion de faire un historique de la ville, de présenter l’organisation et de revenir sur le déroulement des dernières visites : « Depuis quelques semaines, la police ne nous laisse plus entrer dans la vieille ville. Cela pourrait bien être le cas aujourd’hui mais on va quand même tenter le coup », nous explique Yehuda, le sourire en coin. Arrivé au poste de contrôle à l’entrée d’Hébron, notre guide du jour se cache au fond du bus pour ne pas éveiller les soupçons. La tactique est payante. L’ancien soldat savoure sa première victoire à grand coup d’éclats de rire. L’euphorie est de courte durée ; au volant de sa jeep, un membre de la sécurité des colons nous prend en filature, très rapidement suivi par une voiture de police.

« Ne répondez pas aux provocations »

Notre bus se parque à quelques mètres de l’entrée du souk. Alors qu’il est sur le point de descendre du véhicule, Yehuda nous lance un avertissement : « J’allais oublier…Ne répondez surtout pas aux provocations. Si des colons vous insultent, vous lancent des œufs ou des pierres, ne réagissez pas ; ce serait faire leur jeu ». Silence dans l’assistance. L’ambiance est soudainement plombée. Après coup, un journaliste allemand dira qu’il est sorti du bus la boule au ventre.

Pour nous empêcher de descendre, une femme colon a collé sa voiture contre la porte de notre bus. Les haut-parleurs du centre culturel juif situé à quelques mètres de là crachent une musique assourdissante. Les forces de l’ordre et une poignée de soldats nous entourent rapidement. L’accueil n’est pas des plus chaleureux. Le groupe reste compact autour de notre guide qui parlemente avec les agents. Au bout de quelques minutes débarque un policier en possession d’un document, fraîchement signé, nous interdisant d’accéder au centre-ville…on risque de troubler l’ordre public. Avant de quitter les lieux, Yehuda veut faire un point sur la situation. Mission impossible : un colon hurle des insanités dans un mégaphone afin de couvrir sa voix.

Une partie du comité d'accueil

Transcendé par la confrontation

Le chauffeur reprend donc la route. C’est un mélange d’incrédulité, de soulagement et de déception qu’on peut lire sur les visages des passagers du bus. Notre guide, lui, savoure. Il est transcendé par la confrontation: « Excellent ! Cela vaut toutes explications possibles et imaginables ». Il prend de grandes respirations, il semble emmagasiner l’énergie et le courage nécessaires à la poursuite de sa bataille morale. Breaking the Silence a d’ailleurs saisi la Cour suprême. « Je doute que l’on nous donne tort. A moins qu’on choisisse de faire taire les gens qui pensent différemment. Ce serait digne des années cinquante aux Etats-Unis ».

La visite se poursuivra dans le sud de la Cisjordanie avec, à chaque arrêt, de nouveaux démêlés avec la police et de nouvelles interdictions brandies sous notre nez. Voilà ce que dira, à l’issue du tour, Mike, un Londonien étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem, et ayant travaillé pour le lobby juif à Washington : « Tout cela est d’un ridicule sans nom. Qu’ont-ils à cacher ? J'ai sérieusement l'impression qu'Israël nous ment constamment ». Une chose est certaine, la liberté d'expression est un concept qui sonne de plus en plus creux en Israël.
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Lors d'un précédent tour de Breaking the Silence, une femme colon - la même qui a collé sa voiture contre le bus - s'est couchée sous le véhicule. Résultat: l'ONG a été condamnée pour manifestation non autorisée.

samedi 31 mai 2008

A l'écoute des soldats de Tsahal

En l’espace de trois jours, j’ai eu l’occasion de discuter à deux reprises avec des soldats. Le premier, M., 20 ans, est commandant d’une unité et contrôlait les entrées et sorties au checkpoint emprunté par les enfants allant à l’école. C’est lui qui a engagé la conversation ; il voulait connaître la raison de ma présence en ce bon matin. «Je tiens à m’assurer que tout se passe bien pour les enfants». Il m’a attentivement écouté. Après m’avoir posé d’autres questions, il m’a confié que, s’il en avait le pouvoir, il ferait évacuer tous les colons de Hébron. Il sait que ces derniers ne l’aiment pas, certains le haïssent même, mais ils sont obligés de l’accepter vu qu’il garantit leur sécurité. Surpris pas ses paroles, je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas refusé de faire son service.

- Je pense qu’il est plus facile de faire évoluer la situation de l’intérieur que de l’extérieur.
- Et comment t’y prends-tu pour faire évoluer la situation?

- Je remets mes soldats à l’ordre quand ils ne se comportent pas correctement. Je pousse de sérieux coups de gueule parfois ».

M. doit rester cinq mois et demi à Hébron. De ses trois ans de service obligatoire (les femmes en font deux), il en a déjà fait la moitié. Lorsqu’il aura terminé, il pense faire des études « dans le social » et travailler avec des enfants. A noter que pendant tout le temps de la conversation, aucun
écolier n'a vu son sac être fouillé.

Tout baigne, ou presque, au checkpoint.

Quelques jours plus tard, Johannes et moi sommes tombé sur R., 19 ans, un soldat ne parlant pas très bien l’anglais et armé jusqu’aux dents. Il était en service à un checkpoint contrôlant les habitants d’un quartier palestinien qui veulent traverser une route réservée aux colons. Nous allions en sens inverse, en direction du quartier palestinien. R. nous l’a fortement déconseillé : « Vous allez vous faire attaquer par des Arabes ». Johannes a voulu le convaincre qu’il se trompait. Moi, dictaphone enclenché, j’ai joué au naïf pour découvrir le fond de son raisonnement. J’ai été récompensé.

- Le problème, ce n’est pas les colons, c’est les Arabes. Des terroristes, pour la plupart.
- Il y a souvent des attentats par ici ?
- Non. On arrête les terroristes avant qu’ils passent à l’action. Moi, j’en ai attrapé deux qui se cachaient.
- Il y a sacrément de l’action à Hébron. Les soldats doivent aimer être en service ici, non ?
- Ouais, mais ils préfèrent être à Gaza. Là-bas, on peut tuer les terroristes. Ici, c’est plus difficile.

R. va rester cinq mois à Hébron. Une fois son service terminé, il veut faire des études commerciales.

lundi 26 mai 2008

Vos questions, mes réponses

On m’a posé certaines questions via mail (je salue la démarche). Elève appliqué que je suis, je vais donc y répondre. C’est également l’occasion d’évoquer une partie bien plus légère de mon quotidien.

Derrière le nous que j’emploie souvent se cache une sacrée équipe. Une équipe dans laquelle, en tant que Suisse, ou plutôt de non Scandinave, je fais figure d’îlot d’exotisme. Katarina et Johannes (sur la photo de dr.) sont suédois tandis que Linda nous vient tout droit d’Oslo. Ils ont tous déjà vécu au Moyen-Orient et parlent un peu, voire beaucoup, l’arabe. Atout fort précieux dans le coin, vous en conviendrez. Moi, je tente de me débrouiller. Un peu avec mes rudiments et beaucoup avec les mains ; à défaut de permettre des échanges profonds, cette méthode a parfois le mérite de mettre de l’ambiance (et de passer pour un guignol).

Nous vivons dans un appartement. Une chambre pour les filles, une pour les garçons, un grand salon, une cuisine, une salle de bain et un balcon pour tout le monde. Autant dire que je ne m’attendais pas à vivre dans tant d’espace. Matin et midi, repas en ville, le soir, à la maison – une bonne occasion de nous extirper de nos ordinateurs. Au menu : falafel, kebab, taboulé, mahachi, humus,… olives, pain, des tas de fruits et légumes et… du thé de menthe (un vrai bonheur).

Notre quartier est plutôt tranquille (c’est quelqu’un qui a le sommeil profond qui vous parle). Il nous faut 20 minutes à pied pour atteindre le centre-ville. La marche est notre principal moyen de déplacement. Enfin, pour l’instant car, avec la chaleur qui devrait nous accompagner prochainement, on pourrait bien opter pour le taxi un peu plus fréquemment. A ce propos, et pour mon plus grand plaisir, le thermomètre n’a encore pas dépassé la barre des 30 degrés. Alliée de circonstance pour bibi, l’altitude (1000m) à laquelle est perchée la ville d’Hébron.

Dernier point que l’on m’a demandé d’éclaircir : les finances. Du billet d’avion aux communications téléphoniques en passant par la nourriture et le logement, l’organisation prend tout en charge. Maintenant, le régime n’est pas exactement le même pour tout le monde. Les Suisses paient pour participer au programme, les Allemands et les Norvégiens ne paient pas et ne sont pas payés, quant aux Suédois, ils reçoivent un salaire mensuel. Tout cela varie en fonction de l’importance de l’implication des Eglises et du gouvernement de chacun des pays. Une différence de traitement certes, mais une différence qui est loin d’être une préoccupation sachant que c’est la défense de certaines idées qui nous fait avancer.

vendredi 23 mai 2008

Jouer sous la pluie



Jeudi, 18h10: l’entraînement de foot avec les jeunes Palestiniens de la vieille ville bat son plein. Sur le terrain de fortune situé à quelques encablures du souk, ils sont une dizaine à avoir répondu présent à ce deuxième rendez-vous hebdomadaire. Alors que Ahmed s’élance pour tirer un coup franc (injustifié selon Mahmoud), une pluie de cailloux s’abat sur nous. Tous les petits se mettent rapidement à l’abri sous les avant-toits des magasins. Plus qu’une réaction, c’est un réflexe. Aux deux EA que nous sommes, il faudra quelques secondes de plus pour se ranger. Personne n’est blessé mais vu la taille des pierres – on est plus près du pavé que du gravier – nous ne sommes pas passés loin de l’accident. Coup de fil à la police :

L’agent : « Est-ce un Palestinien qui a lancé les pierres ?»
Moi : « Non ».
L’agent : « Est-ce un Palestinien ? ».
Moi : « Non ».
L’agent : En êtes-vous certain ? ».
Moi : « Oui ».
L’agent : « Comment pouvez-vous en être certain ? ».
Moi : « Les pierres ont été lancées depuis Suhada Street. Les Palestiniens n’ont pas le droit d’emprunter cette rue ».
L’agent : « Ok. On envoie une patrouille ».

La patrouille n’est jamais venue. Nous avons repris le jeu quelques minutes plus tard. 18h40 : de nouvelles pierres tombent sur le terrain. Pas plus de blessé. On respire. Puis on rappelle la police. Conversation identique, résultat similaire. L’entraînement terminé, nous décidons donc d’aller au poste de police, déterminés mais sans trop d’illusions, pour déposer plainte. Entrés au poste comme victimes, on en ressortira pour ainsi dire comme accusés. Accusés de déranger la police pour rien du tout.


Il arrive que le ballon passe sous la barrière et se retrouve dans les barbelés. Un balai, de la patience, un dévoué et le tour est joué.

Pour la petite histoire, il est arrivé exactement la même chose lors du précédent entraînement (mais sans le dépôt de la plainte). Jouer au foot à Hébron relève souvent plus de la résistance que du sport. Enfin, pas pour les petits ; ils ont bien trop l’habitude d’être la cible des colons.






Vue aérienne d'une partie du terrain de jeu. Derrière le but, un no man's land puis Suhada Street, d'où ont été lancées les pierres.