samedi 28 juin 2008

Expulsions en série

Chose promise, chose due : je vais vous présenter les faits majeurs de l’histoire des bergers de Susiya. Un survol qui devrait vous permettre de comprendre que l’agression à la batte de baseball s’inscrit dans une logique suivie depuis près d’une trentaine d’années. Attention : article touffu.
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Le campement de la famille avec laquelle on passe un à deux jours (nuits comprises) par semaine


Début du 18e siècle, des Palestiniens qui ne roulent pas sur l'or quittent leur village natal, s’achètent du terrain dans les collines au sud d’Hébron et s´y installent. Habitant dans des caves naturelles, vivant de la culture d’un sol pauvre et de l’entretien de leur bétail, ces familles développent au fil des générations un mode de vie unique (et dont l’étude fait le bonheur des anthropologues). Ainsi, pendant plus d’une centaine d’années, la vie des habitants de Susiya a tout d'un long fleuve tranquille (au vu l’aridité des terres, il serait plus judicieux de parler d’un ruisselet).

Tout bascule en 1983, lorsque des colons israéliens viennent s’installer dans le coin, plus précisément à deux kilomètres d’un site archéologique où a notamment été découvert une ancienne synagogue. En 1986, les nouveaux arrivants voient leur vœu exaucé : les familles palestiniennes dont ils sont devenus les voisins sont expulsées. Mais la plupart d’entre elles reviennent s’installer à 500 mètres de la colonie. Bien trop près pour les colons juifs ; une nuit de 1990, les Palestiniens sont contraints, par des soldats de Tsahal, de monter dans des camions et sont déchargés 15 kilomètres plus loin.

Les familles se retrouvent ventilées un peu partout mais certaines d’entre elles trouvent les moyens de revenir à Susiya et de se remettre au travail. Pendant ce temps, les colons grignotent et confisquent du terrain. Ils se montrent de plus en plus violents. La tension monte. En 1991, trois Palestiniens sont assassinés. En 1997, les familles sont expulsées pour la troisième fois. En 2001, c’est un colon qui est tué. Les habitants de Susiya qui rejettent toute responsabilité dans cette affaire et dont la culpabilité n’a jamais pu être prouvée, sont agressés, des oliviers sont abattus, une partie de leur bétail disparaît, leurs caves sont détruites et leurs puits bouchés.

La même année, la Haute Cour de justice israélienne juge l’expulsion des Palestiniens illégale et les autorise à revenir sur leurs terres. Mais les soldats ne l’entendent pas de cette oreille et les empêchent de se réinstaller. Certains y parviennent tout de même mais sont immédiatement chassés. Expulsion numéro 4.

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Aujourd’hui, seule une poignée de familles palestiniennes vivent encore dans la région. Elles ont l’interdiction de construire et vivent donc dans des tentes. Eté comme hiver. Par un tour de passe-passe juridique, les autorités israéliennes sont dernièrement arrivées à la conclusion que les habitants de Susiya vivaient illégalement sur leurs propres terres. Mais nouveau tour de passe-passe que seule la (non-) justice israélienne parvient à créer, les Palestiniens, soutenus par des organisations israéliennes, font actuellement des demandes pour obtenir des permis de construire. Des permis qu’ils n’obtiendront jamais mais qui leur permettent, comme ils l’affirment, « d’acheter du temps ». Ou de s'offrir un sursis.
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N'ayant pas accès au réseau électrique auquel est relié la colonie voisine, la famille Nawajah peut compter depuis peu sur des panneaux solaires et une éolienne installés par une organisation israélienne.

Comme annoncé, article touffu. Beaucoup de faits présentés, et pourtant, je m’en suis tenu qu'aux plus importants. La confiscation des ressources hydrauliques, le blocage des accès routiers, le harcèlement des soldats,…ce sera pour une autre fois.

4 commentaires:

ElPatu a dit…

Juste une question qui turlupine l'esprit du juriste que je ne suis malheureusement pas: Comment est-il possible qu'il y ait une telle différence entre les décisions prises au sommet de la justice et leur interprétation sur le terrain? Comment une décision prise par la haute cour de justice peut elle être complètement ignorée par l'armée?

Ce n'est pas la première fois, sur ce blog comme ailleurs, que j'ai l'impression qu'on a affaire à la justice d'un état de droit, qui fonctionne de manière me semble-t-il plus ou moins correcte (si elle donne raison aux palestiniens, c'est qu'ils se sont au moins vraiment posé la question), mais qui semble incapable de faire appliquer ses décisions. ça me laisse autant confus que perplexe.

ElPatu a dit…

Et désolé pour le cheminement de ma pensée qui semble bien moins clair que celui de ton article...

José a dit…

bravo pour ton article dans la liberté, c'est cool de te lire non plus en virtuel.c'est bien aussi de sensibiliser tout le monde et non plus tes fideles lecteurs

Jean-Marie Pellaux a dit…

Excellentes questions elpatu (et parfaitement claires). La décision n'a pas été appliquée pour une sombre affaire d'interprétation divergente. L'interprétaion de l'armée allait dans le sens des colons. Ainsi, au lieu de se contenter d'appliquer les décisions, les militaires jouent parfois le rôle de défenseurs de la cause extrémiste.

Pousser la justice à se prononcer est une entreprise très difficile. Gagner un procès n'est pas chose aisée. Pouvoir compter sur une application correcte est fort rare. Ainsi, même si la justice fait son travail, il existe une impressionnante marge de manoeuvre aux colons pour faire avancer leur cause.