dimanche 1 juin 2008

Un petit tour et puis...allez-vous en

Histoire d’être fin prêts pour guider nos futurs visiteurs à travers Hébron et pour assouvir notre soif de connaissance, nous avons décidé de nous inscrire à un tour guidé de la ville. Mais pas n’importe quel tour ; celui mis sur pied par Breaking the Silence, une ONG israélienne formée d’anciens soldats ayant choisi de vider leur sac (leurs confessions figureront dans le prochain article). En 2007, 147 de ces visites ont été organisées.
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Partie de cache-cache

Jeudi, 8h30 : départ de Jérusalem. Américains, Allemands, Israéliens, Suédois, Suisse,… journalistes, étudiants, touristes, militants, …nous sommes une trentaine de curieux à grimper dans le bus et à tendre l’oreille. Au micro : Yehuda Shaul, 25 ans qui en paraît 35, large d’épaule et de taille, une kippa sur la tête, une bouille de bon vivant et un goût prononcé pour le spectacle. L’homme est à la tête de Breaking the Silence et a servi, en tant que soldat et commandant d'unité, à Hébron il y a cinq ans de cela.
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Yehuda (à dr.) en grande discussion avec un policier

Les 45 minutes de trajet sont l’occasion de faire un historique de la ville, de présenter l’organisation et de revenir sur le déroulement des dernières visites : « Depuis quelques semaines, la police ne nous laisse plus entrer dans la vieille ville. Cela pourrait bien être le cas aujourd’hui mais on va quand même tenter le coup », nous explique Yehuda, le sourire en coin. Arrivé au poste de contrôle à l’entrée d’Hébron, notre guide du jour se cache au fond du bus pour ne pas éveiller les soupçons. La tactique est payante. L’ancien soldat savoure sa première victoire à grand coup d’éclats de rire. L’euphorie est de courte durée ; au volant de sa jeep, un membre de la sécurité des colons nous prend en filature, très rapidement suivi par une voiture de police.

« Ne répondez pas aux provocations »

Notre bus se parque à quelques mètres de l’entrée du souk. Alors qu’il est sur le point de descendre du véhicule, Yehuda nous lance un avertissement : « J’allais oublier…Ne répondez surtout pas aux provocations. Si des colons vous insultent, vous lancent des œufs ou des pierres, ne réagissez pas ; ce serait faire leur jeu ». Silence dans l’assistance. L’ambiance est soudainement plombée. Après coup, un journaliste allemand dira qu’il est sorti du bus la boule au ventre.

Pour nous empêcher de descendre, une femme colon a collé sa voiture contre la porte de notre bus. Les haut-parleurs du centre culturel juif situé à quelques mètres de là crachent une musique assourdissante. Les forces de l’ordre et une poignée de soldats nous entourent rapidement. L’accueil n’est pas des plus chaleureux. Le groupe reste compact autour de notre guide qui parlemente avec les agents. Au bout de quelques minutes débarque un policier en possession d’un document, fraîchement signé, nous interdisant d’accéder au centre-ville…on risque de troubler l’ordre public. Avant de quitter les lieux, Yehuda veut faire un point sur la situation. Mission impossible : un colon hurle des insanités dans un mégaphone afin de couvrir sa voix.

Une partie du comité d'accueil

Transcendé par la confrontation

Le chauffeur reprend donc la route. C’est un mélange d’incrédulité, de soulagement et de déception qu’on peut lire sur les visages des passagers du bus. Notre guide, lui, savoure. Il est transcendé par la confrontation: « Excellent ! Cela vaut toutes explications possibles et imaginables ». Il prend de grandes respirations, il semble emmagasiner l’énergie et le courage nécessaires à la poursuite de sa bataille morale. Breaking the Silence a d’ailleurs saisi la Cour suprême. « Je doute que l’on nous donne tort. A moins qu’on choisisse de faire taire les gens qui pensent différemment. Ce serait digne des années cinquante aux Etats-Unis ».

La visite se poursuivra dans le sud de la Cisjordanie avec, à chaque arrêt, de nouveaux démêlés avec la police et de nouvelles interdictions brandies sous notre nez. Voilà ce que dira, à l’issue du tour, Mike, un Londonien étudiant à l’Université hébraïque de Jérusalem, et ayant travaillé pour le lobby juif à Washington : « Tout cela est d’un ridicule sans nom. Qu’ont-ils à cacher ? J'ai sérieusement l'impression qu'Israël nous ment constamment ». Une chose est certaine, la liberté d'expression est un concept qui sonne de plus en plus creux en Israël.
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Lors d'un précédent tour de Breaking the Silence, une femme colon - la même qui a collé sa voiture contre le bus - s'est couchée sous le véhicule. Résultat: l'ONG a été condamnée pour manifestation non autorisée.

4 commentaires:

laure* a dit…

Hello Jean-Marie, je suis venue plusieurs fois visiter ton blog qui est extrêmement intéressant et bien fait. On y apprend beaucoup de chose et j'avoue que même en essayant de rester subjective, je quitte ton blog avec chaque fois une rage sourde qui gronde au fond de moi... Une rage qui se transforme parfois en dégoût de ce que peut être "l'humanité" , le raisonnement humain et l'injustice incroyable qui frappe les Palestiniens d'Hébron (sans parler des autres bien entendu). Je te trouve en tout cas très courageux de faire ce que tu fais, bravo de donner du tien!
Salutations, Laure (Chardonnens)

Ipodfan a dit…

Comment 147 de ces visites ont-elles pu être organisées sans que l'Etat d'Israël n'y mette son holà puisque automatiquement ça ternit son image ? J'admire quand même le courage de ces ex-soldats d'aller contre leurs pairs. Il faut vraiment qu'ils aient une forte envie et une énorme volonté de faire avancer la cause des Palestiniens. Grâce à vous et à eux, on peut garder espoir.
Christine (qui ne sait pas comment changer son nom d'identité!)

Jean-Marie Pellaux a dit…

La rage et le dégoût font aussi parmi des sentiments qui m'envahissent parfois. J'y ajouterais l'admiration. L'admiration face à cette immense majorité des Palestiniens qui ne réagit pas avec violence à ces humiliations quotidiennes. Et eux, ils vivent ici. Moi, je repars dans deux mois.
Merci de ton passage Laure.

Jean-Marie Pellaux a dit…

Pour la petite histoire, Yehuda et Breaking the Silence ont été autorisés hier à pénétrer dans Hébron. Il pense que les autorités israéliennes se rendent compte de la fragilité juridique de leur position. A voir.