vendredi 16 mai 2008

De la nécessité de l'imagination

Hébron (Al Khalil en arabe) : son industrie de la chaussure, ses poteries, ses peaux de mouton, son verre soufflé, son raisin, son souk bondé. Ville prospère se situant sur le passage des caravanes se dirigeant vers la péninsule arabique. Une population généreuse et hospitalière. Voilà ce qui aurait retenu l’attention du voyageur il y a quelques années de cela.

Aujourd’hui, Hébron, c’est quelques centaines de colons israéliens fanatiques pour 170'000 Palestiniens. Un centre-ville quadrillé par l’armée israélienne, des check-points par dizaines et des soldats postés sur les toits. Même si la cité est encore l’un des pôles économiques de la Cisjordanie, Hébron, c’est un souk désert, un taux de chômage effrayant et des habitants de la vieille ville qui, pour un tiers d’entre eux, dépendent directement de l’aide fournie par le CICR et l’UNRWA. Voilà pour les constatations, essayons de comprendre à présent.

Les nombreux check-points ne suffisent pas; au centre-ville, les Palestiniens sont susceptibles d'être arrêtés à n'importe quel moment par des soldats en patrouille.


La ville abrite le Tombeau des Patriarches, le lieu où Abraham et sa femme Sarah ont été enterrés. Or, Abraham est l'ancêtre commun des trois religions, Juive, Musulmane et Chrétienne. Ainsi, le Tombeau est le deuxième lieu saint pour les Juifs, le quatrième pour les Musulmans (connu sous le nom de Mosquée d'Ibrahim). Hébron, pôle d’attraction religieux donc. Cela va lui jouer de sales tours.

Seconde moitié du XIXe siècle, les premiers immigrants juifs s’installent en Palestine. Certains d’entre eux posent leurs valises à Hébron, avec la Bible comme plan cadastral. Les tensions suscitées par la volonté juive de créér un Etat en Palestine et le jeu de dupes des Britanniques débouchent, en 1929, sur une flambée de violence entre populations arabes et juives ; 67 membres de la communauté juive hébronite sont tués. Les autres mettent les amarres.

En 1967, Israël remporte la guerre des six jours et occupe l’ensemble de la Cisjordanie. Des fondamentalistes juifs en profitent pour créer une colonie (Qiryat Arba) aux abords de la ville d’Hébron. Dans les années 1980, un petit nombre d’entre eux s'installent dans la vieille ville. Ils ne la quitteront plus, grignotant du terrain année après année, maison après maison.

En 1997, trois ans après la signature des Accords d’Oslo, le Protocole d’Hébron a été signé entre l’Autorité palestinienne et le Gouvernement israélien. Un protocole qui divise la ville en deux : H1, sous contrôle palestinien (similaire aux Area A dans le reste de la Cisjordanie) et H2, sous contrôle israélien (Area C). Aujourd’hui, quatre colonies sont établies dans H2 : Tel Rumeida, Beit Hadassah, Beit Romano et Avraham Avinu. Environ 500 colons, protégés par 1500 soldats, vivent au milieu des 40'000 Palestiniens habitant dans H2. Certaines routes sont interdites aux Palestiniens, des maisons palestiniennes sont tantôt prises par les colons ou par l’armée (pour des raisons de « sécurité »), des check-points (au moins 76 au centre-ville) sont installés à des endroits stratégiques pour protéger les colonies.

Les rares commerçants du centre-ville ont été contraints de poser des grillages et des tôles pour se protéger des ordures et autres objets lancés (des socles en béton sur la photo centrale) par les colons habitant les bâtiments avoisinants. Les liquides, eux, passent à travers les mailles...

Les effets de cette colonisation ont été dévastateurs pour l’économie d’Hébron. Une grande partie de la vieille ville et du marché d’Hébron sont sous H2 : 42% des habitations du centre ville ont été évacuées par les Palestiniens, 77% des établissements commerciaux (soit quelques centaines d’échoppes) ne sont plus ouverts. Entre la crise économique, les sanctions imposées par la communauté internationale suite à l’arrivée au pouvoir du Hamas et les fermetures imposées par l’armée israélienne, le centre-ville fait peine à voir. Il est désert. S’y promener est une expérience déroutante. Ville-fantôme, entend-on souvent. De mon point de vue, il faut bien plus d’imagination pour comprendre la situation actuelle que pour remonter le temps et se retrouver dans un souk coloré, épicé, débordant de vie. C’est triste.

Merci à Guillaume Fardel de m'avoir autorisé à puiser dans la présentation de la ville qu'il a faite sur son blog (fardelg.blogspot.com)

4 commentaires:

Ipodfan a dit…

De quoi vivent les Palestiniens, je pense par exemple à ceux qui avaient une boutique dans le souk? Et les colons israéliens sont-ils parfois réprimandés pour leurs jets de pierre. Si oui, par qui ? Police, armée ?

Gigeon a dit…

Salut Jean-Marie. Ca me fait très plaisir de te retrouver sur ce blog et me réjouis d'y découvrir ton aventure. Je te souhaite le meilleur.

Jean-Marie Pellaux a dit…

Deux excellentes questions. Je prendrai d'y répondre prochainement. Cela demande quelques explications.
Merci Gigeon. Désolé pour la partie d'échecs jamais jouée. Ce sera pour cet été.

Jean-Marie Pellaux a dit…

Pour les jets de pierres des colons, je crois la réponse est donnée dans l'article sur le foot. Les vidéos sont particulièrement éclairantes sur le sujet.
Au sujet de ta première question, sache que 1700 familles (c'est grand une famille par ici) dépendent directement de l'aide matérielle fournie par le CICR. Certains ont été cherché du travail ailleurs. Une entreprise qui est loin d'être évidente; il y a 27% de chômage dans le district d'Hébron. Un district dans lequel 78% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté...mais avec le coeur sur le main.